‘Y en a marre de la distanciation sociale’ !

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Notre relation aux autres a-t-elle définitivement changé avec le corona ?

Comme tout le monde, depuis quelques mois, vous vous surprenez sans doute dans vos conversations courantes à utiliser des mots inconnus, ou peu utilisés hier, comme vidéoconférence, confinement, ‘lockdown’, présentiel ou distanciation sociale. Rassurez-vous, tout le monde (ou presque) y a succombé et notre langage quotidien s’est adapté ou enrichi, même si ça peut sembler ridicule d’entendre ces mots dans toutes les bouches à longueur de semaines. Quant aux distances qui s’imposent désormais dans nos relations, forcées par les éléments sanitaires, et même si elles modifient forcément l’intensité, voire l’ardeur, de nos contacts humains, sachez qu’elles ne sont pas, elles, nées de la crise que nous traversons, loin de là.

En fait, cette fameuse distanciation sociale, qui est désormais devenue une règle de (sur)vie autant qu’une manière de se protéger tout en respectant les autres, est connue – et étudiée ! – depuis près d’un demi-siècle par les sociologues et autres anthropologues. En un mot comme en cent, elle régit depuis toujours, et souvent de manière informelle, nos relations aux autres, covid ou pas covid…

Proxémie, vous avez dit proxémie ?
Les coachs et autres experts de la communication vous expliqueront que l’étude des distances sociales, telle que définie par l’américain Edward T. Hall, au début des années soixante, est aussi appelée proxémie. Il semblerait, comme l’explique cet anthropologue passionné, que notre façon d’occuper l’espace en présence d’autrui soit un des marqueurs de notre identité, notamment régie par notre culture, notre éducation, notre provenance. On le sait, toutes les ethnies, tous les individus ne se comportent pas de la même manière dans leurs relations sociales, et le rapport à l’occupation spatiale est un marqueur précis qui nous distingue des autres.

Question de bulle !
Pour faire court, rencontrez pour un rendez-vous d’affaires un client ou un fournisseur européen, américain, africain ou asiatique pour vous convaincre des approches très différentes qui peuvent être la norme en la matière en divers points et régions du globe. À l’échelle européenne, une réunion où l’on croise des ressortissants allemands, italiens ou néerlandais suffit déjà, souvent, à appréhender des réalités contrastées, que ce soit en termes tactiles ou de simple occupation de l’espace. Le premier contact, la poignée de main, le positionnement autour d’une table… sont autant d’éléments du non-verbal qui suffisent généralement pour comprendre les us et coutumes, voire les vexations de certains interlocuteurs, avant même d’avoir parlé. Question de bulle justement !

Sécurité
Edward T. Hall, le premier, a montré qu’il y avait autour de nous une surface invisible – la fameuse « bulle » – qui est une zone émotionnellement forte, comme un périmètre de sécurité individuel où l’on ne pénètre pas, en tout cas jamais sans y avoir été invité. Faites l’exercice pour mieux vous représenter cette description un peu simpliste d’une bulle vous entourant, vous constaterez que la représentation est étonnamment réaliste. Vous êtes ainsi probablement moins à l’aise quand un individu se présente face à vous – et tout près ! – que s’il vous suit ou vous aborde latéralement. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il y a dans le cas de figure du face à face un élément d’intrusion évident dans votre bulle proxémique.

Chacun sa carte du monde !
Les experts parlent en l’espèce de notion de bonne distance, mais tous s’accordent pour souligner que les distances en question, comme la taille de la bulle, varient en fonction des individus et, bien évidemment, de leur éducation et de leur culture. N’approchez ainsi jamais de trop près un Américain, pourtant au demeurant loquace et affable, au risque de vous introduire sans son accord dans sa bulle. À ce moment, et aussi surprenant que cela puisse paraître aux yeux de certains, celui-ci se sentira en effet spontanément agressé, d’aucuns diront même violé, alors qu’un Européen du sud acceptera des contacts bien plus rapprochés, les distances sociales étant par exemple extrêmement 1réduites dans les pays arabes et également aux quatre coins du continent africain.

Entre Etats-Unis et Italie, les distances ne sont pas les distances !
Depuis le mois de mars, chacun d’entre nous, et à travers le monde, a plus ou moins intégré que les distances sociales ont valeur de protection s’agissant du Covid-19 qui nous guette. Et l’on s’habitue… On s’habitue d’ailleurs d’autant plus facilement si nos modèles culturels nous avaient préparés à un tel schéma relationnel distancié. Chez nous, spontanément, le Flamand a sans doute eu plus de facilité à intégrer la notion que le Wallon, plus latin dans l’âme et dans ses comportements. Un Strasbourgeois, en France, aura sans doute eu moins de mal à se conformer aux règles sociales nouvelles qu’un Marseillais, pour expliquer la chose sans entrer (trop) dans le cliché. Sauf qu’à l’aube des années soixante, Hall avait déjà mis quatre catégories principales de distances interindividuelles en évidence. Certes, cette étude a été faite aux Etats-Unis, les données sont donc forcément un peu plus strictes, mais toujours est-il qu’elles nous livrent des informations qui corroborent les distances aujourd’hui établies, paraît-il, en fonction de la propagation virale.

N’étions-nous pas devenus trop latins ?
On apprend à travers cette catégorisation que la distance sociale, autrement dit celle que l’on considère comme étant normale dans nos interactions avec des amis, des collègues, des clients, bref le commun des mortels hors cercle proche, se situe entre 1,20 m et 3,70 m. Tiens, tiens, on se trouve quasi dans le chiffre de la distanciation covid ! Ce qui signifie que nous avons, nous, Européens du coeur de la vieille Europe, depuis très longtemps, troqué la distanciation sociale normale et évidente… pour une distanciation qualifiée par les spécialistes de personnelle, réservée, selon Hall, aux conversations particulières destinées principalement aux proches. Pas la distance intime (entre 15 et 45 cm), où là on se trouve carrément dans une zone de très grande proximité, qui s’accompagne d’une implication physique réelle et d’un échange sensoriel élevé… mais pas non plus la distance sociale normale telle que définie par les relations sociales au pays de l’Oncle Sam. Pour votre information, la dernière des catégor es définies est la distance publique (supérieure à 3,70 m), qui est utilisée lorsqu’on parle à des groupes.

Quid demain ?
Il s’avère donc en fait que notre culture, sans doute influencée à travers le temps par les relations du plus en plus régulières avec des populations du sud, nous a conduits à privilégier des relations plus proches dans l’absolu avec tout un chacun, parfois extrêmement proches d’ailleurs. Peut-être trop proches, diront certains aigris ou peureux ! Derrière tout cela, il y a tout de même fort à penser que nous ne sortirons pas indemnes de la crise sanitaire que nous venons de traverser. Non seulement la société aura été meurtrie par les affections, les passages en hôpitaux et les trépas, mais chaque individu aura aussi vu un pan de ses libertés être irrémédiablement réduit. Ce n’est pas mortel en soi, mais il n’est pas certain qu’une fois les masques tombés nous reprendrons nos habitudes d’hier, comme si rien ne s’était passé. Vous vous souvenez, quand nous partagions les accolades et embrassions amis, connaissances et parfois simples relations à qui mieux mieux.

Peur de l’autre !
Bien sûr, la classification proxémique à laquelle nous faisons référence a toujours été l’illustration du comportement des individus pour définir leur territorialité en regard des rapports qu’ils entendent entretenir avec autrui, en tenant compte de leurs acquis sociaux et culturels. Mais, aujourd’hui, la peur de l’autre a ajouté une composante qui pourrait biaiser bien des relations. Evidemment, la distance privilégiée dans les relations variera toujours selon l’image que l’on se fait de l’autre, qu’il soit ami, qu’il soit frère, supérieur hiérarchique, étranger, inconnu, sale, malade… avec maintenant la crainte généralisée de « cet autre » potentiellement porteur du virus. À cette fin, avez-vous remarqué que vos collègues proches, vos voisins ou des membres d’un même groupe d’amis ou de partenaires d’affaires ou de plaisir vous semblent d’emblée moins dangereux qu’un individu lambda vous demandant le chemin, qu’un SDF croisé dans la rue ou qu’un étranger vous abordant en gare ou à l’aéroport ?

Tout nous trahit !
Si cette question des distanciations sociales et de la proxémie vous intéresse, en y ajoutant la synchronie interactionnelle, c’est-à-dire le mimétisme comportemental qui régit une communication efficace, sachez que nos comportements trahissent toujours nos pensées et ressentis. Sur le sujet, regardez simplement où et comment s’installent vos collaborateurs, prospects et/ou clients autour d’une table pour une réunion, analysez leurs attitudes gestuelles, leur posture et vous comprendrez assez vite qu’au-delà des distances, le placement des gens et leur manière de séduire au travers de leur gestuelle trahissent leurs intentions, qu’elles soient collaboratives ou combattives. Nous, en ces quelques lignes, nous avons simplement voulu vous signifier que la distanciation sociale n’est absolument pas neuve, elle a sans doute changé depuis mars mais c’est une réalité vieille comme le monde. Sur ce, et puisque l’autre est maintenant un ennemi, je remets mon masque et m’éloigne, direction mon île déserte, sait-on jamais…