Quid de la PRJ pour relancer ses activités après la crise ?
En ces temps de covid, de nombreuses entreprises déjà mal en point se sont trouvées très très mal dès la fin mars et au mois d’avril. Nos Autorités ont réagi. Un premier moratoire sur les faillites a été décidé, il a pris fin en juin. Mais un second a été voté, qui court jusque fin janvier. Il ressort de cette situation inédite que 5.289 entreprises seulement ont été déclarées en faillite sur les 8 premiers mois de l’année (source Graydon). La baisse est énorme par rapport à 2019 (- 30,2 %) et le tsunami annoncé des faillites ne nous a pas (encore) touchés. Maintenant, tout le monde sait que le calendrier est simplement reporté et qu’il va balayer la planète éco’ avant l’été. Une enquête menée par l’Union wallonne des entreprises au printemps avançait le chiffre de 9 % des entrepreneurs craignant cette issue pour leur projet. Au sortir d’un deuxième confinement, on se demande si les chiffres ne sont pas plus alarmants encore. D’où l’idée, non pas de vous faire peur mais, de vous entretenir d’une procédure bien connue mais pas toujours comprise : la PRJ. Nous avons rencontré Tibault le Hardÿ, avocat spécialisé en droit des entreprises en difficultés, inscrit au Barreau de Bruxelles et du Luxembourg (belge)…
EA : Pouvez–vous réexpliquer, très simplement, ce qu’est une PRJ ?
Tibault le Hardÿ : « PRJ » est l’acronyme de « procédure de réorganisation judiciaire ». C’est une procédure de « sauvetage » pour les entreprises. Elle vise à éviter les faillites et permettre la continuité des activités des entreprises. Très simplement, l’entreprise confrontée à des difficultés (problème de trésorerie, perte d’un contrat important, marché compliqué, dettes insurmontables…) peut obtenir la protection du tribunal de l’entreprise, par le simple dépôt d’une requête. Il s’agit principalement d’expliquer les difficultés rencontrées et de joindre des documents comptables.
EA : On parle donc de protection pour l’entreprise…
T. lH. : Oui… Et dès la demande de protection, l’entreprise en difficultés est protégée contre une citation en faillite et la plupart des voies d’exécution (saisie, vente forcée…). Dès que le tribunal « ouvre » la procédure (par un jugement), toutes les dettes sont ‘gelées’ pendant ce qu’on appelle une période de ‘sursis’.
EA : Qui dure…
T. lH. : C’est une période de 6 mois (en principe) durant laquelle l’entreprise pourra se réorganiser et mettre en place les solutions permettant d’assurer la continuité de son activité et éviter la faillite. Il faut donc imaginer qu’une ‘bulle d’air’ est offerte à l’entrepreneur en difficultés. Mais attention, s’il s’agit de mettre ‘sur pause’ le paiement des dettes anciennes, les nouveaux engagements (les factures qui arrivent après l’ouverture de la PRJ) devront, eux, être respectés. De plus, il s’agira de travailler à des solutions pérennes durant cette période, grâce aux différents « outils » qu’offre la procédure.
EA : Il existe donc plusieurs formes de PRJ ?
T. lH. : Oui, il y a 3 formes principales. Chacune poursuit un objectif particulier que l’on peut résumer simplement sans trop entrer dans le détail. La PRJ 1 vise à rechercher des accords amiables avec quelques créanciers (échelonnement des paiements, révision des taux d’intérêts applicables, nouvelles garanties, accord commercial…). La PRJ 2 vise à rechercher un accord collectif, c’est-à-dire avec tous les créanciers cette fois (par un plan global de redressement). Dans la plupart des cas, pour les créanciers, il s’agira alors d’appliquer l’adage « Un tien vaut mieux que deux tu l’auras » et accepter le plan… Enfin, la PRJ 3 vise le transfert d’activités sous autorité de justice. Il s’agit, ici, de céder les activités qui peuvent encore l’être durant le délai de sursis. L’objectif est d’éviter le « fracas » de la faillite… dans le cadre de laquelle les actifs sont vendus « à la casse ». Par ailleurs, concernant l’« accord amiable », il est important de préciser qu’il peut également être mis en place en dehors d’une PRJ. C’est un « outil » qui devrait se développer de plus en plus dans le contexte de la crise actuelle. Malheureusement, il n’est pas encore assez connu des entrepreneurs, de leurs comptables et parfois même de leurs avocats. Ceci est regrettable car cet accord « extra-judiciaire » permet d’éviter de passer par la « case justice » et, surtout, d’échapper dans certains cas à la faillite…
EA : À l’époque, le dépôt de la requête était gratuit, puis ce fut 1.000 euros, puis 300… On parle aujourd’hui de réduire à nouveau son coût. Qu’en est-il ?
T. lH. : C’est une bonne question… que notre législateur a eu beaucoup de difficultés à traiter. En quelques mots, le coût du dépôt est aujourd’hui de moins de 100 euros. On se rappellera que le dépôt était au départ gratuit, afin d’éviter tout obstacle à l’ouverture de PRJ pour les sociétés en très grosses difficultés. Cela a conduit à des dépôts « intempestifs » de requêtes… afin de profiter de l’effet suspensif des voies d’exécution et, singulièrement, des saisies exécutoires. Une réforme a voulu contrer cet effet en installant un coût de 1.000 euros par dépôt, avec l’effet inverse à la clé pour les petites structures en réelles difficultés.
EA : Et…
T. lH. : Aujourd’hui, la voie médiane a été choisie. Il est d’ailleurs vraisemblable que le montant restera faible, même s’il pourra évoluer. Quant aux saisies, elles ne sont plus systématiquement bloquées par le simple dépôt de la requête. Dans certains cas, le débiteur devra payer les frais d’exécution de l’huissier ou du notaire désigné (pour une vente publique d’un immeuble, par exemple) afin de bénéficier de l’effet suspensif de la voie d’exécution.
EA : Et les frais d’avocat là-dedans ? Que coûte réellement une PRJ ?
T. lH. : C’est une question à laquelle il est extrêmement difficile de répondre vu que chaque procédure est différente. Dernièrement, un avocat s’est prononcé dans la presse à ce propos en indiquant que les frais à engager se situeraient dans une fourchette entre 3.000 et 10.000 euros. Voici les éléments qui influenceront les frais : nombre de créanciers, nombre d’accords amiables à négocier, contestations des créanciers pendant la PRJ, difficultés à élaborer un plan, durée de la période de sursis…
EA : Est-ce une solution pour une TPE ?
T. lH. : Dans certains cas, les frais liés à une PRJ sont tels qu’il convient de conseiller de déposer le bilan plutôt que de déposer une requête en PRJ. L’entrepreneur pourra alors plus rapidement se protéger des créanciers et ‘se refaire’. Naturellement, cela pose une série de questions : la confiance des partenaires, les frais liés à la relance d’une nouvelle structure, les ‘comptes à rendre’ au curateur… Il y aura donc toujours un calcul d’opportunités à réaliser, avec son comptable et/ou son avocat. La décision doit être réfléchie et ne pas être prise à la légère.
EA : La PRJ est-elle une solution pour passer la crise covid ?
T. lH. : C’est la question du moment. En pratique, nous faisons un constat simple : il n’y a pas beaucoup de dépôts de requête en PRJ durant la crise que nous connaissons. À mon sens, cela s’explique notamment par deux éléments.
EA : Qui sont…
T. lH. : D’une part, les créanciers (dont l’Etat, à savoir la TVA, l’ONSS… dans le cadre du moratoire sur les faillites) ne sont pas ‘menaçants’ pour l’instant, de sorte qu’il n’est pas strictement nécessaire de se mettre ‘à l’abri de ses créanciers’. D’autre part, la PRJ protège l’entreprise en difficultés et conduit à un ‘gel’ des créances existantes… mais pas des créances futures. Pourquoi donc lancer une procédure lourde et coûteuse, alors qu’il conviendra de continuer à payer les nouvelles dettes ? Ce constat pousse certains, aujourd’hui, à demander la mise en place d’un système d’hibernation… qui impliquerait également un gel des factures futures.
EA : On parle d’une ‘refonte’ de la procédure. La procédure va être simplifiée ?
T. lH. : Oui, absolument. Il est évident que la réforme prochaine apportera simplification et assouplissement de la procédure. À ce jour, le formalisme entourant le dépôt d’une requête en PRJ est un obstacle, vu les frais de conseils (avocat et comptable) nécessaires afin de constituer un dossier qui « passe » devant le tribunal. En pratique, un acteur prend d’ores et déjà plus de place depuis la crise et devrait en prendre encore d’avantage : c’est le médiateur d’entreprise.
EA : C’est ‘La’ solution ?
T. lH. : En tout cas, il sera probablement un acteur plus central encore au gré des réformes. C’est une sorte de facilitateur – souvent un avocat reconnu pour son indépendance et son expertise – qui intervient ‘au milieu du jeu de quilles’ (entre l’entreprise en difficultés et un créancier menaçant par exemple) et qui rendra des comptes au tribunal.
EA : Son rôle va jusqu’où…
T. lH. : Le médiateur pourra faire des propositions concrètes, comme suggérer des pistes d’accord, conseiller l’ouverture d’une PRJ ou, au contraire, une mise en faillite, élaborer les grandes lignes d’un plan de restructuration… Enfin, la réforme à venir devrait également apporter une meilleure participation des parties entre elles.
Plus d’infos
Service Re-Action
Sébastien Wagelmans : 0499 751 468
Maxime Piret : 0491 39 54 40