Cher T., par le passé, nous avons pu ensemble nous occuper des excédentaires de Glaverbel, du rôle social du facteur et de l’encouragement des exportations wallonnes. Et tu avais pu y démontrer dans la pratique un syndicalisme de proposition et de construction. La Wallonie est le projet où une telle approche peut faire des merveilles…
En effet, notre Région dispose d’atouts incontestables, comme sa localisation, son savoir-faire industriel et commercial, la qualité de sa main-d’œuvre, son potentiel de créativité, le redéploiement initié par le Plan Marshall, les pôles de compétitivité…
Actuellement, le ratio est de 0,98 s’agissant du PIB wallon dans le PIB de l’UE 28 par rapport à la part de la population wallonne dans celle de l’UE 28.
Arriver à un ratio de 2 devrait être un objectif, même si un handicap tient en la faiblesse du fédéralisme belge, qui tend à devenir plus de proclamation et de confrontation (voire dislocation) que de solidarité et mutualisation. En d’autres termes, on voit mal notre État fédéral procéder structurellement, comme l’Union européenne, à une redistribution d’une partie de ses ressources en faveur de ses composantes régionales les moins fortunées. Sans compter sur le caractère inadapté de certaines clés, comme par exemple le 60/40 à la SNCB, qui ne tient pas compte de la superficie, des distances et du relief en Wallonie, a fortiori lorsqu’elles sont appréciée annuellement et non sur une législature ou un contrat de gestion.
À ce stade, on peut dire néanmoins que la Wallonie a tous les ingrédients nécessaires pour réussir… à part, pour le moment, le respect pour l’entreprise et l’attractivité. Elle ne peut donc se permettre de mauvais signaux, je crois que tu en conviendras.
Pas de profit, pas d’entreprise; pas d’entreprise, pas d’emploi
La formule peur irriter, mais elle est réelle: « pas de profit, pas d’entreprise; pas d’entreprise, pas d’emploi« . C’est une des raisons pour lesquelles nos entreprises et les communautés qu’elles constituent (employeur-employés) méritent le respect, pour leur génie aussi. On ne peut pas diaboliser une multitude de projets de développement. Et l’on doit s’efforcer d’éliminer les éléments ralentisseurs ou tueurs de tels projets.
« On peut dire que la Wallonie a tous les ingrédients nécessaires pour réussir… à part, pour le moment, le respect pour l’entreprise et l’attractivité. »
Notre Région fait partie d’un pays qui représente 0,15% de la population mondiale tout en étant 13e exportateur mondial de marchandises et 12e exportateur mondial de services. L’exportation compte pour 75% dans notre PIB.
Pour rester performantes dans ce combat incessant qu’est l’exportation, nos entreprises ont besoin de plus de compétitivité, particulièrement au niveau des coûts de production.
L’allégement des charges sociales sur le travail correspond à cette préoccupation et constitue pour l’employeur un stimulant vers le développement de l’emploi.
Sans oublier le coût de l’énergie, plus chère en Wallonie qu’en Flandre, elle-même plus chère que chez nos concurrents directs voisins. Sans oublier non plus l’indispensable simplification administrative. Le développement de l’entreprise par sa meilleure compétitivité s’inscrit ainsi dans une perspective sociale, qui correspond bien à notre modèle mosan de concertation, joignant efficacité économique et justice sociale.
Je t’ai aussi vu, en son temps, apporter ta pierre au développement wallon et rencontrer des investisseurs étrangers potentiels en leur présentant les attraits d’une localisation chez nous, en évoquant ce modèle sans le nommer et en soulignant le caractère positif des relations sociales. En procédant comme cela, tu as mis en évidence notre attractivité, qui se traduit prosaïquement par l’envie (avec sa part de subjectivité) d’investir en Wallonie ou même seulement d’y faire un tour.
« Il n’est pas trop tard, mais il est plus que temps d’arrêter cette spirale négative en créant un véritable axe contractuel de (re)développement de la Wallonie. »
Le spectacle des blocages
C’est là que nous connaissons une situation qui n’était encore jamais apparue aussi grave: le spectacle, à répétition, de blocages sociaux limités à la Wallonie et, pour une bonne part, liés à des compétences fédérales, comme les prisons et la SNCB. Les actions de transporteurs routiers se rapportaient plus aux compétences régionales; elles ont en tout cas montré que les autorités disposaient d’armes juridiques pour contrer des atteintes à la liberté de circuler et d’aller travailler.
Globalement, de telles situations de blocages uniquement wallons risquent fortement de pénaliser notre Région en détournant les investisseurs en raison d’une image de guerre sociale et de difficulté d’investir. En distinguant en outre de manière très négative notre Région par rapport à la Flandre et donc en l’appauvrissant.
La meilleure façon d’indiquer de manière crédible que cela ne correspond pas à l’attractivité de la Wallonie est de ne plus répéter ces excès et ce dualisme intra-belge. En utilisant cette énergie de manière positive et créative: il n’est pas trop tard, mais il est plus que temps d’arrêter cette spirale négative en créant un véritable axe contractuel de (re)développement de la Wallonie. Et ce avec des objectifs et engagements à moyen et long termes définis et pris par les parties prenantes (gouvernement, parlement, partenaires sociaux) pour une Wallonie attractive, créative, ouverte sur le monde et socialement respectueuse et émancipatrice.
Ensemble, gérons les signaux, qui ne peuvent désormais être que positifs.
Tu le mérites, comme le travailleur que tu représentes. Notre Wallonie aussi.
Par Philippe Suinen
Président de la Chambre wallonne de commerce et d’industrie – Institut Destrée
L’Echo 01/06/2016 : http://www.lecho.be/agora/analyse/Lettre_a_un_ami_syndicaliste.9772791-2338.art?highlight=suinen